Un texte de Louis Bonneville
Le Québec compte une panoplie d’albums de grands intérêts, mais le moment venu d’apposer le sceau de chefs-d’œuvre à un album d’ici, la liste peut tout d’un coup subir un cisèlement important qui ne laisse qu’en tête de liste les productions qui ont réussi à graver des moments si importants qu’ils font acte d’indéfectibilités auditives. Dans notre grande province, si peu peuplée, mais regorgeante de créateurs, deux albums nous viennent automatiquement à l’esprit s’imposant avec un statut absolument mythique. Soit l’immense et laborieux projet de 1976 du groupe Harmonium intitulé L’Heptade, dont la résultante, de ce double album concept de rock progressif, est absolument époustouflante. Et bien entendu, un autre album concept, le sans cesse surprenant Jaune de Jean-Pierre Ferland de 1970, album qui n’est pas sans rappeler les grandes œuvres Anglaises de la fin des années soixante, voire les albums concept des groupes The Beatles et The Who. Suite à la grande réussite de Jaune et au moment où l’artiste fut confronté à l’idée de fixer son regard intéressé à la poursuite de l’aventure, est-ce que Ferland se demanda, comment pourrait-il réaliser à nouveau le grandiose ?
Au début de l’année 1971 Serge Gainsbourg, l’alter ego français de Ferland, donne le ton à cette nouvelle année par une onde de choc en proposant l’album concept, son premier du genre, intitulé Histoire de Melody Nelson. Cette même année Ferland plaque la suite sonore en présentant l’aboutissement du colossal projet d’un double album concept intitulé Soleil. Dans le reflet historique musical, Soleil semble avoir été éclipsé par Jaune, probablement que l’explication peut se trouver dans les titres moins à succès qui compose l’album et du fait que Jaune bénéficie du statut d’œuvre précurseur du genre au Québec. Ceci dit, en analysant en profondeur Soleil, il devient évident que sa réalisation est si incroyablement bien ficelée que son rayonnement final, extrêmement riche, peut facilement étinceler avec la même puissance que les grandes étoiles de ce moment, là où il en regorgeait aux États-Unis et en Angleterre.
La réalisation de cet album à prédominance orchestrale s’exécuta à Montréal dans une ancienne église anglicane transformée en studio par le maître réalisateur André Perry, endroit qu’il occupa pour une courte période entre 1970 et 1972, moment qui précède l’édification de son légendaire lieu de création Le Studio à Morin-Heights. En plus d’une multitude de faits notoires, le célébrissime réalisateur fit histoire en 1969 avec une chanson emblématique générationnelle, soit « Give Peace a Chance » de John Lennon. Réalisation effectuée par un délicat travail de postproduction à partir de l’enregistrement du chaotique happening musical lors du marquant Bed-in for Peace tenu à la chambre 1742 de l’hôtel La Reine Elizabeth. Perry, fort de cette expérience et de plusieurs autres à la réalisation, dont l’album Jaune, accueillit à nouveau Ferland et son acolyte du moment, le pianiste compositeur et arrangeur Paul Baillargeon. La contribution de ce musicien fut remarquable et indispensable à ce qui allait devenir Soleil, les chansons furent d’ailleurs concoctées, en amont de l’album, par Baillargeon et Ferland. Mise à part Baillargeon aux claviers qui est parmi les musiciens composant le noyau fort de cet album, on retrouve le prolifique guitariste David Spinozza, où la même année il travaille à l’album Ram de Paul McCartney et qui deux ans plus tard sera guitariste-soliste pour l’album Mind Games de John Lennon. La section rythmique est assurée par le batteur Richard Provençal et le bassiste Don Habib. Ces deux derniers, issus du milieu jazz, apposent une solide et irréprochable structure à cette réalisation, tels deux piliers soudés l’un à l’autre.
Soleil me frappa en pleine figure en 2011 lorsque je me décidai de refaire un tour d’écoute de mes albums de Ferland, je le découvris ainsi pour la première fois malgré le fait que je l’avais en ma possession depuis plusieurs années. Probablement que l’état lamentable de mon exemplaire, acheté à une vente de disques lors de la fermeture d’une station de Radio A.M. à la fin des années quatre-vingt-dix, fit en sorte de me laisser réfractaire à l’écoute. Ainsi muni d’un intérêt nouveau pour cet album et désirant trouver un exemplaire plus propice à l’écoute, je l’ajoutai, à ma liste de disque à trouver. Dans un premier temps, je mis la main sur une réédition lors d’une visite en 2013 au magasin OB' CD du Disque de Drummondville. Au début de 2015, je trouvai au Le Colisée du Livre de Québec, dissimulé dans un lot à 1 $, le pressage original où sa pochette est plutôt dégarnie d’informations, mais qui possède un livret de photos et de paroles, brochure inexistante dans l’autre version. Autres détails : l’insertion des disques s’effectue par deux ouvertures des tranches extérieures de la pochette, contrairement à la réédition ayant une ouverture unique au centre via l’intérieure. Autre pressage qui diffère, la version française qui est passablement écourtée , étant présentée dans un format d’album simple.
Souvenons-nous de la fascinante révolution sonore de cette époque avec cette éloquente contribution québécoise.
© 2015
Jean-Pierre Ferland / Facebook — https://www.facebook.com/jeanpierre.ferland.73
Un lien vers YouTube pour l’écoute de l’album :