Un texte de Louis Bonneville
En tant que mélomane, il est toujours passionnant de découvrir des albums majeurs qui étonnamment me sont avérés complètement inconnus durant des décennies. Bien entendu, ces disques importants sont le point central de la mire d’une quête musicale. Par contre, force est de constater, avec regret, que ces trouvailles s’avèrent de plus en plus rares au fil des années de par l’écumage de ces albums classiques. Lorsqu’à nouveau on est happé par ces réalisations majeures, demeurées vierges à notre oreille, ils s’inscrivent donc dans notre spectre d’intérêts de façon beaucoup plus fascinante, contrairement au moment où ils se retrouvaient tous là, facilement accessibles à une exploration initiale.
En 2010, je tombai sur une entrevue réalisée par Télé-Québec avec Daniel Lanois. Ce musicien, qui réussit d’ailleurs à sans cesse se réinventer, se fit poser une question très prévisible, mais dès plus pertinente, et ce, dû à son statut de réalisateur mythique : Quel album aurait-il souhaité en être le réalisateur ? Sans hésiter, le Québécois d’origine répondit par l’album The Man-Machine du groupe Kraftwerk. À l’écran, en avant-plan, une image de la couverture de l’album accompagnait les propos de Lanois. Ce moment me laissa complètement figé à mon fauteuil dû à mon analyse primaire de cette pochette et de ce groupe hétéroclite de quatre individus y posant. Leur look androgyne enchevêtré avec celui d’une idée pseudo-futuriste de mi-homme/mi-machine m’apparaissait troublant : chevelure placée chirurgicalement vers l’arrière à l’aide d’une dose importante de gel coiffant, rouge à lèvres vif assorti à leurs chemises et regards flegmatiques. J’étais ébahi de m’imaginer que Lanois, celui qui réalisa entre autres Joshua Tree de U2 et Oh Mercy de Bob Dylan, pourrait cadrer stylistiquement avec cet album de ce groupe allemand, formation dont d’ailleurs je ne connaissais absolument pas l’existence et qui curieusement, à compter de ce moment, se manifesta constamment à moi.
Ce premier contact visuel avec cette pochette n’était absolument pas suffisant pour laisser filer ma curiosité, qui me dictait de trouver un exemplaire de ce disque. Je fouinai ici et là chez les disquaires, mais aucune copie en version originale ne se pointait dans mon radar de recherche. Par contre une quantité importante de rééditions en vinyles des albums du groupe était disponible. Je déduisis ainsi que j’avais affaire à un groupe majeur et non pas à une lubie artistique isolée de Lanois envers cet album. Suite à quelques recherches, je découvris que ce regroupement de musiciens expérimentaux qui amorça sa carrière au début des années soixante-dix en est un précurseur de la musique électronique. Sa contribution fut d’ailleurs très importante à la commercialisation des explorations sonores synthétique, où leurs recherches sonores furent caractérisées par une approche au genre répétitif à prédominance industrielle. Aujourd’hui, bon nombre reconnaissent l’apport important de la formation à l’histoire musicale des décennies récentes. On le considère comme l’un des groupes les plus influents de la New wave de la fin des années soixante-dix à la mi -quatre-vingts.
En 2013, je fis partie d’une tournée estivale de spectacles musicaux au Québec. Lors de la fête nationale en juin, où nous étions au programme des festivités de Longueuil, je remarquai à notre arrivée en après-midi, dans le secteur de la rue principale devenue piétonnière pour l’occasion, que certains citoyens avaient profité de la journée festive pour tenter de vendre leurs lots d’objets superflus accumulés au fil des ans. Notre véhicule maintenant stationné près de la scène, je pouvais profiter des quelques dizaines de minutes d’avance sur notre horaire. Je me dirigeai ainsi vers ces allées résidentielles, où les portes de garage étaient grandes ouvertes pour une tentative d’expulsion lucrative finale du matériel débordant.
Lors de ces ventes de quartiers ou de villages, il est presque impossible de ne pas au moins trouver une personne qui s’est finalement décidée à se départir de ses disques. La plupart du temps ils sont rangés depuis belle lurette aux oubliettes dans des boites cartonnées de la SAQ ou dans de vieilles caisses de lait en plastique. Ma mire étant toujours bien ajustée sur ces récipients, je dénichai ainsi le seul vendeur apparent ayant des disques à se départir. C’est à travers un lot de Musicals de Broadway d’une époque relativement oubliée que se trouvait, vous l’aurez deviné, The Man-Machine, dans une version originale canadienne de 1978. L’individu à qui je tentai d’extirper cet album électro au reste de son lot quasi invendable ne lâchait pas le morceau. Il se doutait bien de l’importance de la galette de pétrole que j’avais maintenant entre les mains et qui d’ailleurs, à en juger son âge, était probablement un souvenir musical marquant de son adolescence. Suite à une conversation conviviale, je pris connaissance que le sympathique individu avec qui je transigeais était le comédien Jacques Lussier, dont on se souvient entre autres par son rôle d’inspecteur d’écoles Henri Douville dans Les Filles de Caleb : une fresque historique littéraire transposée de façon grandiose en téléroman par le cinéaste pictural Jean Beaudin. Finalement, une entente fut conclue et je repartis sous le bras avec cet album produit par le célébrissime label Capitol.
Tous ceux qui ont savouré de façon intense cette New wave connaissent très bien Kraftwerk. Pour les nouvelles générations de mélomanes qui découvrent cette époque, l’album The Man-Machine ainsi que leur précédent Trans-Europe Express sont des points de départ cruciaux à cette phase musicale....
N.B. Pour ceux comme moi qui sont non familiers avec la langue allemande, une prononciation erronée du nom du groupe est fréquemment utilisée, soit craftwork. J’ai remarqué dernièrement ce lapsus lors d’une discussion où je tentais de sous-tirer quelques informations sur ce groupe à un de mes collègues de travail. L’accent précis de Peter, ce transporteur allemand qui est entre autres le responsable depuis plus d’une décennie de l’équipement de ce groupe en Europe, me fit remarquer que la prononciation exacte du nom de ce groupe est en fait krafverk.
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Kraftwerk — The Robots — https://www.youtube.com/watch?v=-wop47G2qeY
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Photo : Jazzinphoto
Prise par : Gunther Frohling