Un texte de Louis Bonneville
Au début des années soixante, un remaniement remarqué de la chanson folklorique traditionnelle américaine se répandit à travers l’occident, et ce grâce à l’immense succès de Bob Dylan avec son deuxième album intitulé The Freewheelin' Bob Dylan. Ce chansonnier au caractère beatnik puisa en bonne partie l’inspiration pour ses chansons, à prédominance de protestations, dans le bassin de l’œuvre de son précurseur Woody Guthrie ; celui-ci qui décrivit le pays et le peuple avec ses chants patriotiques et réunificateurs. Ce nouvel essor du mouvement de la musique folk se traduisit par une forme de chanson acoustique socialement engagée et intimiste à la fois. Un bon nombre de genres dérivés et une quantité innombrable d’artistes naquirent de cette tendance ou prirent ce virage dans les années suivantes, et ce, portés, par cette forte mouvance populaire. Prenons comme exemple des artistes et groupes tels que : The Birds, Judy Collins, Crosby, Stills & Nash, James Taylor, Townes Van Zandt, Donovan, etc.
Le Canada, à cette époque, compte lui aussi tout un lot d’artistes folk remarquable, tel que : Ian & Sylvia, Joni Mitchell, Neil Young, Gordon Lightfoot, The Band, Buffy Ste-Marie, etc. Au Québec, plusieurs noms furent marquants dont les intemporels Leonard Cohen, Felix Leclerc et le duo Kate & Anna McGarrigle issus du groupe Mountain City Four.
En 1969 dans le quartier Greenwich Village de New York, Kate, la sœur cadette du duo McGarrigle, fit la rencontre d’un chanteur émergent nommé Loudon Wainwright III. Artiste considéré à son premier album comme un émule de Bob Dylan. À juste titre, car Wainwright fut au nombre de ceux qui ont eu la chance d’assister à la première performance donnée par Dylan au Newport Folk Festival de 1963. Prestation charnière dans le repositionnement de la chanson folk, et ce appuyé par la présence de ses pairs. Wainwright fut envouté par cette découverte et il en tirera sa conception de la chanson folk.
Le début de carrière de Loudon profita du soutien de l’important label Atlantic Records pour ses deux premiers albums, et elle fut ponctuée dans sa vie personnelle, par son mariage avec McGarrigle en 1971. De cette union naquirent successivement Rufus en 1973 et Martha en 1976. Les deux enfants du couple deviendront à leurs tours des figures musicales populaires, dont les carrières sont très remarquées de par leurs talents avérés.
Le 12 mars 2015, dans la ville côtière de Torrance en Californie, soit à un peu plus de trente kilomètres au sud de Los Angeles, je dénichai un des rares magasins de vinyles usagés de cette cité comptant une population approximative de 140 000 habitants. Ce n’est pas sans péripéties que je me rendis au Record Recycler. Mon itinéraire, de la plage au centre-ville, se chiffrait à une demi-heure de route en transport en commun, logistique qui me semblait simple au premier abord. Par contre je n’avais pas évalué le temps d’attente des passages aux demi-heures du bus. Pire, l’équation temporelle prit une démesure inattendue en longueur lorsque l’autobus se retrouva en panne à mi-chemin de mon parcours.
Finalement arrivé sur les lieux en fin d’après-midi, il me restait qu’une mince heure pour parcourir l’inventaire. Rendu vers la fin de mes recherches soit dans la rangée « W ». Je localisai avec étonnement les deux premiers albums de Loudon. Encore plus surprenant, le premier enregistrement de 1970 était sous une rare version promotionnelle. Ce fut la première fois que ces albums, sur support vinyle, se présentaient à moi, et ce malgré mes fouilles de New York à San Francisco. Ce qui me porte à déduire que la renommée de l’artiste en ce début de carrière se veut probablement un succès d’estime plutôt qu’un populaire, là où certaines cliques underground s’intéressèrent au travail de Wainwright. D’ailleurs, probablement en raison d’un maigre succès à la vente, Atlantic Records décida de mettre un terme à leurs activités avec l’artiste, soit suite à la sortie de son deuxième album. Soulignons que la mise en marchée canadienne de ses deux albums semblent avoir été plus que discrète.
Le propriétaire du commerce aux allures désabusées reluquait les aiguilles de sa montre tout comme s’il faisait face à la fermeture finale de sa boutique. Il m’annonça que mon temps était écoulé, en tirant le rideau métallique antivol sur la vitrine. Je me dépêchai à réunir mes autres disques trouvés, dont ceux de Laura Nyro et de Robin Trower et je quittai les lieux en faisant l’itinéraire en sens inverse.
Lors de mon retour au Québec avec mes acquisitions sous le bras, je portai un intérêt marqué à ce premier album de Wainwright. Cet album éponyme, surnommé Album I, est un premier jet important qui marque le potentiel de l’artiste alors âgé de 25 ans. La facture solo musicale de ses chansons est livrée avec assurance et d’un aplomb bien senti à la guitare acoustique. Son intensité vocale, par la charge émotive, reflète ses textes avec justesse. L’instantanéité de l’enregistrement en fait un exemple d’une saisissante authenticité intimiste. Ce qui est une résultante de plus en plus rare de nos jours où la manipulation sonore, avec l’aide des multiples technologies musicales, haltère trop souvent l’essence de l’interprétation.
© 2015
Loudon Wainwright III — Hospital Lady — https://www.youtube.com/watch?v=9R4QJu3XGuA
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Loudon Wainwright III / Site web — http://www.lw3.com/
En 1971, au Caffe Lena à Saratoga Springs, NY
Photo : www.lw3.com
Prise par : Mike the Kid Photographer
Un lien vers Spotify pour l’écoute de l’album :