Un texte de Louis Bonneville
En 1960, le Newport Jazz Festival en était déjà à sa septième édition. Ces festivités musicales, étalées sur cinq jours, affichaient une importante liste de 44 artistes dont Ray Charles, Muddy Waters, The Bill Evans Trio, The Oscar Peterson Trio, The Dizzy Gillespie Quintet, etc. C’est lors de la journée initiale du festival, le 30 juin, que fut présentée la marquante performance de Nina Simone, et ce, tout juste avant le spectacle principal de la soirée donné par The Dave Brubeck Quartet. Le spectacle fut heureusement capté sur ruban et la qualité de l’enregistrement s’avéra suffisamment respectable pour que le récent label Colpix Records décide de le commercialiser sur long jeu lors de cette même année.
Cette chanteuse et pianiste commença son parcours phonographique en 1958, alors âgée de 25 ans. Au moment de la mise en marché de l’album du spectacle à Newport, Simone comptait à son actif deux albums studio ainsi qu’un en spectacle, ce qui n’était que la prémisse de l’œuvre débordante à venir de l’artiste. Lorsqu’on s’aventure à une écoute primaire de son œuvre, on est intuitivement happé par ses interprétations senties et dotées d’une éloquence quasi hypnotique. Qu’il s’agisse de ses compositions ou de reprises, la puissante conviction qu’elle déploie peut s’avérer par moment jusqu’à en être déconcertante à l’audition. Est-ce que ses états psychologiques auraient majoritairement pesé dans ce rendu vif ? Certains cancans se sont cumulés à la façade de son parcours, faisant maintenant état de fait : la dame, vraisemblablement bipolaire, vivait sous l’emprise de graves crises de violence. Même qu’à quelques reprises, dans ses pires accès de colère, elle aurait menacé d’un pistolet ses pseudo boucs émissaires, ce qui bien étrangement semblait s’avérer à elle comme sa façon la plus logique d’agir pour régler ses conflits... Suite à la connaissance de sa personnalité au parcours trouble, on peut d’autant plus se sentir le sang glacé à l’écoute de certaines de ses interprétations. Pensons à sa version acerbe de Pirate Jenny en concert au Carnegie Hall en 1964... Qu’il s’agisse ou non d’une relecture métaphorique du texte de Bertolt Brecht, en lien avec l’effort de l’avancée des droits civiques de l’époque, la violente charge émotionnelle en est tout aussi percutante.
Malgré ce côté plus qu’obscur de l’artiste, qui ombrage fortement sa réputation, il demeure néanmoins fascinant d’observer à rebours cette Afro-Américaine à une époque où il valait mieux être armé de convictions pour se faufiler dans cette mêlée sociale. Comme on le sait, il s’avérait beaucoup plus simple de s’épanouir aux États-Unis, dans cette période historiquement déséquilibrée, lorsque la couleur de sa peau s’apparentait plutôt au coloris pâle de la pêche que de celui foncé du marron. D’autant plus qu’à cette même période, le genre pourvu de testostérone dominait la majorité des conditions sociales en y exerçant sa ferme emprise.
En octobre 2015, je me trouvai pour quelques jours à Varsovie, ville où l’on ne peut d’ailleurs que ressentir ses marques historiques d’une charge vertigineuse. Dans une arrière-cour d’une artère piétonnière commerciale, je dénichai un exigu disquaire où j’eus la chance de mettre la main sur cet album, en une rarissime première édition française, mais dans un état malheureusement couci-couça. D’ailleurs, il faut se rendre à l’évidence, avec le récent engouement pour le disque vinyle, le marché s’est métamorphosé. La demande a atteint un niveau dépassant sérieusement l’offre. Il est ainsi devenu relativement laborieux de trouver, en condition quasi parfaite, un disque d’intérêt datant de plus cinquante ans.
Nina Simone est une artiste d’un talent incommensurable où l’émoi règne à la proue de son œuvre. Son parcours demeurera surement inscrit à jamais dans l’histoire de l’art comme un témoin virulent de cette époque d’insurrection.
© 2016
Nina Simone — Flo Me La — https://www.youtube.com/watch?v=8mBULbCjZpA
Nina Simone — Pirate Jenny — https://www.youtube.com/watch?v=7DIzjEVhca0
Nina Simone / Site web — http://www.ninasimone.com/
Nina Simone / Facebook — https://www.facebook.com/nina.simone/
Le 8 mai 1960, au Ed Sullivan Show à New York.
Photo : Getty Images
Prise par : Michael Ochs
Un lien vers Spotify pour l’écoute de l’album :