Un texte de Louis Bonneville
La musique folklorique peut se concevoir comme un vaste héritage culturel issu des us et coutumes collectifs des peuples. C’est dans les traditions populaires que cette forme d’art a su tout au long de son histoire se transmettre d’une génération à l’autre, et ce, la majorité du temps par voie orale. Puis, progressivement, les technologies du 20e siècle ont ensuite permis au folklore de se répertorier via des enregistrements. Ainsi, ces œuvres ont pu enfin bénéficier d’une préservation sonore tangible, tout en leur permettant d’offrir une texture du rendu par ses interprètes respectifs.
Dans les balbutiements historiques des enregistrements folkloriques, on pense immédiatement au travail de l’ethnomusicologue John Lomax et de son assistant, son fils Alan. Dans les années 30, ils entreprirent un projet colossal : ils prospectèrent une grande partie du territoire états-unien pour y effectuer des captations spontanées livrées par des interprètes afro-américains issus majoritairement du milieu carcéral. Plus près de nous, un travail similaire a été effectué au Québec à cette même époque. Le Beauceron d’origine, Marius Barbeau à lui aussi recueilli un nombre important de folklores, en autres le long du Saint-Laurent.
Avec l’implantation importante des studios d’enregistrement dans les années cinquante et suite à sa démocratisation dans les décennies suivantes, les musiciens de tout genre ont ainsi pu, de leur propre gré ou par l’entremise d’un producteur, avoir accès de façon relativement facile à ces lieux offrant des captations sonores. Cela permit ainsi l’enregistrement d’un nombre considérable de musiques folkloriques variées, et a fortiori bien fignolées. Les folkloristes acharnés de l’occident ont finalement pu reprendre leur souffle en comptant partiellement sur ces enregistrements comme une source importante de pérennité future.
Quelques groupes folkloriques québécois emboîtèrent le pas et enregistrèrent leurs activités musicales au cours des années soixante-dix. Pensons aux groupes Le Rêve du Diable et surtout La Bottine Souriante, qui bénéficient encore aujourd’hui d’une longévité de diffusion de leurs enregistrements. D’autres formations issues de cette même période se sont malheureusement quelque peu dissipées dans notre mémoire collective. C’est donc avec l’idée de me faire surprendre l’oreille par ce type de groupes que je découvris en début de 2016 Éritage. Lors d’une de mes fouilles chez un disquaire, leur album éponyme attira mon attention en y remarquant le nom de quelques musiciens, dont j’avais vague souvenance de leur réputation liée à ce genre. Dès la première écoute, ce disque m’apparut comme étant un modèle clé de ce qu’est l’idée de rendre avec justesse l’interprétation du folklore québécois, tout en ayant réussi à lui imbriquer des assises formelles : la virtuosité de l’ensemble de ces musiciens, leur précision d’exécution, le souci de recherche d’un répertoire englobant les traditions de nos origines diverses et le respect de l’essence du folklore québécois en sont les points qui m’apparaissent comme majeurs dans l’importance de ce disque.
Raynald Ouellet est définitivement le musicien phare de cette formation. Son jeu à l’accordéon diatonique n’est rien de moins qu’une démonstration de la perfection absolue du genre. Bien connu dans le milieu trad, il est entre autres le directeur artistique du Carrefour Mondial de l’Accordéon de Montmagny. L’excellent violoneux Jean-Pierre Joyal est l’autre soliste de cette formation, ses interprétations aux agencements sonores variés sont fort réussies. La structure rythmique est assurée par Yvan Brault au piano et Marc Benoit à la contrebasse. La chanteuse Céline Chaput prête sa voix à la formation l’instant de quelques chansons françaises.
À tous ceux qui seraient susceptibles de se déceler un intérêt envers cet ensemble, il ne vous reste qu’à tenter de mettre la main sur un exemplaire de cet album, dont la circulation sur le marché de l’usagé semble plutôt extrêmement rarissime. D’ailleurs, aucune réédition numérique de cet album ne semble avoir été effectuée à ce jour. À quand un second souffle sera-t-il offert à cet important référent folklorique ?
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