Le 33 de la semaine : 23/52 de 2019
Jean Carignan
Album : Jean Carignan
Label : Philo Records
Code : FI2001
Année : 1973
Chronique de Louis Bonneville
Chronique de Louis Bonneville
Il est sans doute nécessaire de revenir au cœur de l’enfance de Ti-Jean pour bien saisir le caractère unique du fougueux violoneux québécois… Il naît en 1916, à Lévis, dans une famille à peu près ruinée. Le violon du père, dissimulé sous le lit, devient rapidement l’objet de convoitise du bambin qui forcément l’y a trouvé. Dès l’âge de cinq ans, le garçon se produit dans la rue et rapporte à la maison le pécule recueilli chez les spectateurs et passants. Toutefois, la tragédie foudroie la famille de Jean, lorsque son jeune frère succombe à la méningite et ses trois petites sœurs à la diphtérie – terrifiant… À 10 ans, pendant quatre ans, Carignan devient l’apprenti de Joseph Allard, le surnommé « prince des violoneux ». Avec l’appui de ce mentor, il répète et joue de façon continue. Des répertoires, tels que ceux du maître irlandais Coleman, et de l’Écossais Skinners, sont assimilés par le jeune prodige de ces styles. Les fondements des habilités du jeune violoneux sont ainsi établis pour la suite de son parcours, hélas en dents de scie. En 1973, après plus de dix ans d’absence, Carignan enregistre au Vermont cet album qui tire profit d’un seul accompagnement au piano, avec Gilles Losier. Cette façon de faire met en avant-plan le violoneux, et permet de saisir clairement sa dextérité absolue à l’archet, ainsi que son swing monumental. La complexité des morceaux et la justesse de leur exécution sont colossales. Malheureusement, cet album phare de la carrière de Carignan n’a toujours pas profité de rééditions de son format original sur vinyle. Tout le long de sa vie (digne d’un biopic saisissant), Jean sera obligé pour joindre les deux bouts d’exercer aléatoirement divers métiers, en dépit de son talent incommensurable. Il sera entre autres cordonnier, ouvrier en manufacture de textiles et d’acier, et conducteur de taxi. En plus de sa surdité progressive, il éprouve au fil des ans une amertume à l’égard de sa situation. Son talent n’est pas reconnu à sa juste valeur. En succession de son parcours, grâce à ses rares enregistrements, dont celui-ci, il n’en signe pas moins son apport fondamental au patrimoine de la musique traditionnelle occidentale.
© 2019
Un lien vers une pièce se trouvant sur l'album, filmé par l'ONF :